
Le 23 août 1939, l'URSS et le IIIe Reich concluent le Traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union Soviétique. Signé au Kremlin en présence de Staline par les ministres des Affaires Etrangères allemand (von Ribbentrop) et russe (Molotov), cet accord appelé en France le pacte germano-soviétique prévoit un engagement de neutralité en cas de conflit de l'une des deux parties avec les pays occidentaux. Il comporte également un protocole « secret » (et resté comme tel dans un premier temps) qui répartit les pays et les territoires « à annexer » (Pologne, Finlande, États baltes et Bessarabie) entre l'Allemagne et l'URSS, préfigurant l'invasion de la Pologne qui déclenche la guerre en septembre 1939.
Cet accord provoque une immense surprise dans le monde entier. En effet, alors que la rhétorique nazie est profondément nourrie d'anticommunisme, l'URSS et ses dirigeants se sont toujours présentés comme les ennemis du fascisme contre lequel ils ont d'ailleurs lutté en Espagne pendant la guerre civile. C'est donc assez logiquement que les communistes occidentaux sont déboussolés : en France, plusieurs militants, cadres et parlementaires démissionnent du parti. Le Président du Conseil Daladier trouve par ailleurs dans ce pacte une occasion et une raison d'interdire la presse communiste (le 26 août), avant de dissoudre le parti une fois la guerre déclarée (le 27 septembre).
Même si la Russie communiste n'est plus l'allié de 1914, la perspective d'avoir à affronter l'Allemagne sans un soutien russe ouvrant un front à l'est effraie. A l'instar de la carte postale Hitler dresse le cousin russe éditée entre fin août et septembre 1939, de nombreux médias (illustrations, presse, radio, actualités filmées)reviennent très largement sur cet événement, reflétant et façonnant tout à la fois les consciences ainsi que les représentations politiques du moment.
Une carte postale « satirique »
Parue en août/septembre 1939, Hitler dresse le cousin russe est une carte postale avec une illustration signée de Gilbert, qui travaille alors pour des journaux, des périodiques et des maisons d'éditions. Nées à la fin du XIXe siècle, les cartes postales reprennent des thèmes politiques ou d'actualité sur un mode satirique, humoristique, caricatural et plus ou moins didactique. Elles sont particulièrement florissantes des années 1910 aux années 1930 et sont des moyens de communication autant que des objets de collection. Diffusée dans toute la France, cette carte postale reprend d'ailleurs les codes caractéristiques du genre.
Le dessin au trait simple et direct représente l'accord entre Hitler et Staline, les deux leaders se tenant debout sur une carte de l'Europe (logiquement : Hitler à l'Ouest, Staline à l'Est). Aisément reconnaissable à sa mèche (exagérée, un peu désordonnée), à sa moustache et à son uniforme avec la croix gammée, Hitler joue du tambourin pour un Staline caricaturé en ours portant une casquette marquée de l'étoile rouge (on reconnaît parfaitement les traits de son visage, jusqu'à la moustache). Si le tambourin évoque un dressage doux, presque hypnotique par la musique (les belles paroles), le fouet qu'Hitler semble tenir sous son bras suggère d'autres manières et d'autres étapes possibles du rapport entre le maître et la bête.
De même, la mine et la silhouette bonhommes de Staline sont comme démenties par la faucille pleine de sang qu'il tient entre ses « mains ». Signe que l'obéissance, la docilité de l'ours dressé et normalement inoffensif doivent être pour le moins relativisées. Presque aussi menaçantes que le fouet et la faucille, les pattes griffues de Staline comme les chaussures cloutées d'Hitler suggèrent un danger pour l'Europe sur laquelle elles pèsent.
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